Les graines dans les Andes aujourd’hui
L’agriculture à plus de 4000 mètres d’altitude demeure un défi permanent pour l’homme qui doit tout à la fois être capable de semer des plantes qui captent l’eau en haute altitude en travaillant simultanément la complémentarité écologique pour limiter les conséquences de la rigueur du climat.
Malheureusement, les données scientifiques pointent l’urgence à agir face à la fragilité constante du maintien des habitudes de consommations et de productions traditionnelles, véritable enjeu de la préservation de la biodiversité.
Les diverses observations effectuées à plusieurs années d'écart permettent de conclure au risque accru du passage d'une consommation alimentaire traditionnelle (tubercules, céréales, viandes, légumes et nombreuses plantes) à une autre qui incorpore davantage de produits de l'industrie agro-alimentaire (blé́, oléagineux, pâtes…). Cette transition se justifie par des facteurs économiques liés à la compétitivité du prix de ces denrées issues de l’industrie agro-alimentaire et à la perception positive et innovatrice que les paysans se font de certains produits consommés par les gens des villes (riz, sucre). Ceci résulte du manque d’information, de pédagogie et d’espace d’échanges de « bonnes pratiques ». La farine locale par exemple est en train de disparaitre devant la concurrence de celle fabriquée industriellement à Lima ou Arequipa, avec des blés importés. Ces changements de comportements alimentaires entrainent avec eux des répercussions lourdes sur le plan de la santé des populations. Enquête nationale de consommation d'aliments sur l’Altiplano (ENCA), 2018
Contexte actuel qui menace éminemment de nouveau le patrimoine nourricier et la biodiversité à Chinchero, chez Cléofécélia
⦁ Changement climatique
Inéluctablement, les Andes n’échappent pas à l’évolution de leur climat lié au réchauffement climatique. Cela se manifeste par une raréfaction de l’eau mais aussi parfois par des pluies soudaines diluviennes très violentes. Cela amène à adapter les semences et le mode de plantation. Plus que jamais dans ce contexte, il est urgent de préserver les semences et de recenser les connaissances liées à leurs cultures pour préserver la biodiversité de demain en s’adaptant aux conditions d’aujourd’hui.
⦁ La construction d’un aéroport international en plein cœur de Chinchero :
Le projet de construction d’un aéroport international à Chinchero a réellement vu le jour sous la présidence d’Ollanta Humala (2011-2016). La loi du 23 août 2012 ordonna l’expropriation des terrains pour la construction d’un aéroport au cœur du village de Chinchero recouvrant les terres de trois communautés indigènes, Yanacona, Ayllopongo et Racchi Ayllo, soit un espace de 400 ha. La communauté de Cléofécélia, Yanacona , est la plus impactée car ses habitants ont du céder la quasi-totalité de leurs terres. Le 15 décembre 2015, contre toutes attentes, l’étude d’impact environnemental fut approuvée. Le 5 janvier 2016, un consortium international (péruvien/espagnol /américain) fut chargé de superviser la construction de l’aéroport pour un montant astronomique de 1 120 millions de dollars. Face à ce qui apparaissait comme un scandale financier au niveau de l’état, le parquet demanda l’autorisation d’investiguer sur cette affaire et le Congrès décida de convoquer le ministre des transports à l’origine du projet pour qu’il réponde à 83 questions le 18 mai 2017 lors d’une session extraordinaire qui dura 10 heures. Le 21 mai, il fut annoncé que le contrat frauduleux était sans effet ce qui conduisit à la démission de sa fonction de Ministre des Transports et le parquet annonça avoir trouvé des irrégularités qui entraînaient un préjudice pour l’Etat de 40,6 millions de dollars et mit en examen 10 fonctionnaires du Ministère des Transports. Cela conduisit à remonter la piste jusqu’au président de la république Pedro Pablo Kuczynski qui dut démissionner le 21 mars 2018 en raison de ses liens avec l’entreprise brésilienne de travaux publics Odebrecht pour le projet d’aéroport de Chinchero. Le 24 octobre 2019, la Corée du Sud signa le contrat avec le gouvernement péruvien pour la construction de l’aéroport. Nicole Fourtané, professeur émérite spécialiste des Andes, 19 Février2020
A ce jour, l’aéroport de Chinchero demeure en attente de construction, englué dans des scandales financiers internationaux et du fait du contexte sanitaire lié au virus du COVID. Toutefois, le projet reste sur la table. Il va s’agir d’un édifice d’un coût de 740 millions de dollars à ajouter aux 30 millions de dollars pour l’assistance technique. Cet aéroport sera capable d’accueillir des avions de plus de 140 passagers et présentera une piste d’atterrissage de 4 000 m de long sur 45 de large, située à 3728 m d’altitude, un terminal de 40 000 m 2, 11 portes d’embarquement et 13 passerelles d’accès aux avions. Il pourra accueillir plus de 6 millions de passagers par an.
En 2011, avant le début des travaux, trois chemins incas et 13 chemins coloniaux, plus 7 éléments archéologiques isolés ont été trouvés sur le site prévu pour la construction de l’aéroport. Toute la région condense un patrimoine monumental et archéologique très riche, à commencer par le complexe archéologique de Chinchero, Q’entepata. Outre le patrimoine matériel, cet aéroport menace définitivement les traditions ancestrales de la vallée sacrée de Cusco, l’équilibre écologique de la zone et bien entendu, la préservation des graines gardiennes du patrimoine nourricier et de la biodiversité locale.
Plus que jamais, il y a urgence à agir.
